21 juin 2014

[Fr] Le temps ne fait rien à l'affaire ¤ [En] Time has nothing to do with it

Victor Hugo (1802-1885)
Château-fort au crépuscule

 [Fr]

 [En]

Georges Brassens et Grand Corps Malade pour vous parler de Victor Hugo.

Le premier fut récompensé par l’Académie Française, le second est Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, le troisième fut élu à l’Académie Française. Rien que ça.

Un chanteur et un slameur pour un auteur. Trois noms, trois époques, trois poètes qui ont renouvelé et fait évoluer les codes de la poésie.
Brassens a mis des poèmes de Hugo en musique, Grand Corps Malade a fait un slam sur Les trompettes de la renommée de Brassens.

Pas besoin d’études pour ressentir, mais sans un brin de culture pas de mots possible à mettre sur ces maux.

Georges Brassens and Grand Corps Malade to talk about Victor Hugo.

The first one got an award from the Académie Française, the second is Chevalier of the Order of Arts and Letters, the third was elected to the Académie Française. No less.

A singer and a slamer for a writer. Tree nouns, tree epochs, tree poets who changed and broadened the codes of poetry.
Brassens put to music a few poems of Hugo, Grand Corps Malade made a slam of BrassensLes trompettes de la renommée.

No need for school to feel, but without the slightest bit of culture, no word can possibly be put on those sorrows.

La légende de la nonne ¤ Georges Brassens chante sur du Victor Hugo


Les trompettes de la renommée ¤ Grand Corps Malade slame sur du Georges Brassens

En France, c’est l’heure du Bac, les 1ères ES et S ont passé les écrits du français, le pauvre Hugo s’en est pris plein la gueule sur Twitter.

Certains morveux à la fibre littéraire inexistante se sont fendus de tweets aux noms d’oiseaux pour le moins fleuris, allant jusqu’à utiliser l’insulte « fils de pute. »

Certains morveux, une minorité qui occulte à mon avis une majorité de lecteurs plus ou moins passionnés.

Ces morveux qui, s’ils prenaient la peine de se pencher sur leur langue française, pourraient en déceler la beauté sans faire de grands efforts.

Certes la poésie est souvent obscure au premier abord. Je me souviens de mes impressions en 1èrej’étais une scientifique, pas du tout littéraire à l’époque – j’aimais pas la poésie, mais à petite dose ma prof en a distillé au fur et à mesure. Je trouvais ça bien compliqué, mais je trouvais ça chouette à l’oreille.
Du coup, j’ai eu envie de redonner une chance à la poésie. Mes premières tentatives en témoignent, j’y avais pas encore tout compris et je ne remercierais jamais assez cette prof – Madame Windenberger – qui m’avait encouragé à voir en dehors des normes académiques après lectures de mes « chefs d’œuvres. »

La littérature n’est pas innée, je ne le crois pas, elle s’apprivoise. Il faut apprendre à la connaître, et pour apprendre à la connaître, il faut s’intéresser à la langue.
Dès qu’on connait sa propre langue, on peut en jouer, s’en amuser et s’en servir d’arme.

Avant ma blessure, je lisais mais sans plus ; les mots c’était pas mon truc, mes poings parlaient souvent.
Après ma blessure, j’étais sans défense, j’ai dû chercher une autre arme, je me suis mise à écrire.
Sport, blessure, poésie – un peu à la manière de Grand Corps Malade – un peu seulement, soyons modeste.

In France, it’s time for the baccalauréat  or A level exams, the Economics (ES) and Maths & Science (S) 11th graders took their French written test, poor Hugo got his ass kicked on Twitter.

Some brats who are no born literary-minded persons indulged themselves of a few colorful name-calling tweets, going as far as calling Hugo a “son of a bitch.”

Some brats, a minority occulting I guess a majority of more or less enthusiast readers.

Those brats who, if only they took time and interest in the French language, could perceive its beauty without much effort.

Granted, at first, poetry is often obscure. I remember my impressions in 11th grade – I was a science person, not a literary one in the least at the time – I disliked poetry, in small doses my teacher gradually distillated some. It struck me as something quite complex, but that rang quite nicely.
This gave me the urge to give poetry a new go. My first attempts are testimony enough, I didn’t quite get it yet and I will never thank my teacher enough – Mrs Windenberger – for her encouragements and incentives to see outside the box of the academic norms after a reading of my “masterpieces.”

Literature is not an innate thing, I don’t think so, it is something you cultivate. You have to learn it to know it, and to do so, you have to get interested in the language.
As soon as you know your own language, you can play with it, make fun of it and use it as a force.

Before my being hurt, I have been reading but not much; words weren’t my thing, my fists often did the talk.
After my being hurt, I was defenseless, I had to look for another force, I took up writing.
Sports, wound, poetry – kinda in the style of Grand Corps Malade – just kinda, in all modesty.

La rencontre ¤ Grand Corps Malade
[…] 
J’ai rencontré la poésie, elle avait un air bien prétentieux, 
Elle prétendait qu’avec les mots, on pouvait traverser les cieux, 
Je lui ai dit « j’t’ai d’jà croisée et franchement, tu vaux pas le coup 
On m’a parlé de toi à l’école et t’avais l’air vraiment relou » 
Mais la poésie a insisté et m’a rattrapé sous d’autres formes 
J’ai compris qu’elle était cool et qu’on pouvait braver ses normes 
Je lui ai demandé « tu penses qu’on peut vivre ensemble, je crois que je suis accro » 
Elle m’a dit « t’inquiète, l’avenir appartient à ceux qui rêvent trop » 
[…]

[…] 
I have met poetry, she seemed quite mannered, 
She claimed that with words you could go across heavens, 
I told her “I’ve met ya before and honestly, you're not worth it 
School’s told me about you and sure you looked borin’” 
But poetry insisted and caught up with me in other forms 
I finally got she was easy goin’ and you could defy her norms 
I told her “you’d mind living with me, I think I’m an addict” 
She told me “no worries, the world belongs to those who dream quite a bit” 
[…]

Ce qui me révulse chez ces petits merdeux ignares, c’est la violence des propos à l’encontre de Victor Hugo !
On aime ou on n’aime pas, peu importe, mais le respect n’est facultatif pour personne. Chacun y a droit, le cœur mort ou le cœur battant.

Les classiques de la langue française (ou de n’importe quelle autre langue d’ailleurs) sont des classiques pour une raison, même si elle peut être obscure, voire incompréhensible quand la littérature n’est pas notre dada. Les classiques font partie d’une culture ; on ne peut apprendre une langue sans en connaître sa culture.

On peut reprocher à l’Education Nationale de s’enliser dans le classique pour les épreuves de français : à croire qu’il n’y a que les auteurs classiques qui méritent d’être étudier ; à croire qu’il n’y a que les auteurs classiques qui possèdent une plume enlevée et poétique.

C’est tellement plus facile d’appréhender sa langue avec des auteurs/poètes/chanteurs que l’on connait ou dont on voit les noms au quotidien.

Alors entre deux monstres sacrés de la littérature classique, pourquoi pas étudier des textes de Mylène Farmer, Calogéro, Zazie, Jean-Jacques Goldman, Lionel Florence, Francis Cabrel, Serge Lama ou encore Yann Tiersen ?

Pourquoi pas étudier des œuvres de Tahar Ben Jelloum, Aimé Césaire, Gao Xingjian, Jean d'Ormesson, Michel Houellebecq ou encore d’Amélie Nothomb ?

Je me souviens qu’en CM2, mon instituteur – Monsieur Ferrar, il me semble – nous a fait écouter La corrida de Cabrel avec pour unique consigne d’essayer de deviner de quel point de vue la chanson était écrite. C’est une des rares fois que j’ai adoré « faire du français » avant le lycée. C’est plutôt chouette comme façon de découvrir sa langue, non ?

L’année suivante, j’entrais en 6ème, j’écrivais mon tout premier poème pour être accusé de plagiat par mon prof de français, Monsieur Allain.
Ca refroidit.
Il aura fallu un accident et la découverte du poème A une passante de Baudelaire pour que je reprenne la plume.

What’s revolting me with those ignorant brats is the violence behind the words towards Victor Hugo!
You like or you don’t, whatever, but respect is optional for no one. Each of us is entitled to it, the heart dead cold or beating warm.

The classics of the French language (or of any other language for that matters) are classics for a reason, even though it may be obscure, if not inexplicable when literature is not your hobbyhorse. Classics are part of a culture; you can’t learn a language without knowing of its culture.

The  French Education Department can be blamed for getting bogged down in classic standards for the French tests: you would think that classical authors are the only one worth studying; you would think that classical authors are the only spirited and poetic wordsmiths.

It is so much easier to comprehend your own language with writers/poets/singers you know or whose names you see on a daily basis.

So in-between legends of the classical literature, why not studying some texts of Mylène Farmer, Calogéro, Zazie, Jean-Jacques Goldman, Lionel Florence, Francis Cabrel, Serge Lama or even Yann Tiersen?

Why not studying works of Tahar Ben Jelloum, Aimé Césaire, Gao Xingjian, Jean d'Ormesson, Michel Houellebecq or even of Amélie Nothomb?

In 5th grade, I remember my primary school teacher Mr Ferrar, I think – playing us La corrida by Cabrel with for only assignment to try and guess which point of view the song had been written from. That was one of the rare occasions I loved “doing French” before senior high school. It’s quite a nice way to discover your language, isn’t it?

The next year, I was in 6th grade, I was writing my very first poem to be accused of plagiarism by my French teacher, Mr Allain.
Quite a way to put a damper on.
An accident and the discovery of Baudelaire’s poem To A Woman Passing-by have been necessary for me to decide and take up a pen again.

La corrida ¤ Francis Cabrel

La question qui se pose vraiment c’est pourquoi une telle réaction ? Ou plutôt comment en est-on arrivé à ce qu’une telle réaction soit même possible ?
L’éducation à deux vitesses n’est une nouvelle pour personne, les écarts de niveaux se ressentent d’une académie à une autre quand ce n’est pas d’une classe à une autre. Fille de militaire, je parle d’expérience. La ville de déménagement se faisait moins en fonction de la proximité de l’affectation qu’en fonction du niveau des collèges et lycées.

Grand Corps Malade en fait la critique dans un de ses slams – L’Education Nationale – et met les points sur les i pour un état qui s’amuse à les ignorer en prenant le problème par le mauvais bout.

The question that pops up to mind is why such a reaction? Or more accurately how could it have even possibly come to this kind of reaction?
The two-speed education is no news for anyone, the discrepancy shows between academies when not between classes. Military’s daughter, I know it from experience. The place where we would move in depended more on the educational level of high schools than on the proximity of the posting.

Grand Corps Malade made a critic of it in one of his slams – L’Education Nationale – doting some I’s and crossing some T’s for a government spending its time ignoring them by taking the problem on the wrong angle.

L’éducation nationale ¤ Grand Corps Malade

Si on ajoute à cela la crise très actuelle des intermittents du spectacle, la culture française comme on la connaît risque de se casser la gueule en beauté et de mourir tout simplement.

Une Education Nationale qui s’enlise, un monde du spectacle qui s’essouffle, une culture qui s’asphyxie. Une culture qui ne vit plus, c’est une civilisation qui meurt. Tableau bien noir.

Et tant que le gouvernement n’y remédiera pas, comme dirait l’autre : « le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est con, on est con. »

If to this you add the very current crisis of the temporary show-business workers, the French culture as we know it might take a tumble with a blast and die altogether.

An Educational Department getting bogged down, an entertainment industry running out of steam, a culture suffocating. A culture that is not alive anymore is a dying civilization. Quite a dark situation.

And as long as the government does nothing about it, as one might say: “Time has nothing to do with it, when you’re a jerk, you’re a jerk.”

Le temps ne fait rien à l’affaire ¤ George Brassens

Au passage, pour la petite info pas si inutile : Victor Hugo, Georges Brassens et Grand Corps Malade, en plus d’être poètes, ont un autre point commun, chacun a fait l’objet d’un sujet du bac.

Et pour le plaisir, un dernier slam et un passage en particulier.

By the way, for the not so useless record: Victor Hugo, Georges Brassens and Grand Corps Malade, besides being poets, they have another common denominator, they three have been the object of a baccalaureat’s subject.

Just for the fun of it, one last slam and one specific passage.

Toucher l’instant ¤ Grand Corps Malade
[…]
Il existe paraît-il, un instant dans l'écriture
Qui oublie la page blanche et efface les ratures
Un véritable état second, une espèce de transe
Qui apparaît mystérieusement et s'envole en silence
[…]

[…] 
They exist so it seems those moments when you write 
That blot out the blank page and delete the crossing-out 
A real second state, kind of like a trance 
That mysteriously appears and flies away in silence 
[…]

9 juin 2014

[Fr] L'appel de la petite balle jaune ¤ [En] The Call of the Little Yellow Ball

Source

[Fr]

[En]

En temps longtemps, mon truc c’était ni l’écriture, ni la lecture et encore moins l’anglais, mais c’était bien le tennis.
Mon plaisir, c’était de frapper dans la petite balle jaune, en déversant toute ma hargne dans chacun de mes coups ; et à l’époque, c’était gare au coup droit et gare au slice.

J’ai eu ma première raquette à 6 ans – à l’époque, j’étais en Guyane. Première médaille à 8 ans. Première coupe à 12 ans – j’étais alors en Bretagne.

A 14 ans – alors en banlieue parisienne, je me souviens avoir pleuré dans mon coin après la défaite de Martina Hingis en finale de Roland Garros contre Steffi Graff. J’en ai même fait un petit strip de 3 vignettes – la seule fois où je me suis risquée à le faire.

A 15 ans, je me souviens que je prenais un malin plaisir à me mesurer aux garçons et à les battre en EPS. Je me souviens aussi que ces mêmes garçons ont commencé à me surnommer Amélie.
Au début, je pensais que c’était un compliment. Excellente joueuse, n°1 française, n°16 mondiale – je ne voyais franchement pas comment je pouvais le prendre autrement que comme un compliment. Mais j’étais encore bien naïve !

In time long ago, neither writing nor reading was my thing, the English language even less, but tennis sure was it.
My pleasure was to hit the little yellow ball, discharging all of my aggressiveness in each and single one of my shots; and  at the time, it was beware the forehand and beware the slice.

I got my first racket at age 6 – at the time, I was in French Guiana. First medal at age 8. First cup at age 12 – I was then in Brittany.

At age 14 – then in Parisian Suburbs, I remember having cried alone by myself after Martina Hingis got beaten by Steffi Graff in the final of Roland Garros. I even draw a three-vignette comic strip about it – the one and only time I ventured to do so.

At age 15, I remember that I was getting a sneaky pleasure pitting myself against boys and beating then in PE. I also remember that those very boys started to nickname me Amelie.
At first, I thought it was a compliment. Wonderful tenniswoman, French n°1, world n°16 – I honestly couldn’t see how I should have taken it as anything but a compliment. But I was still quite the naïve!


Autant ma vie de fille de militaire m’a enseigné pas mal de leçons sur la différence, autant celle-ci a été particulièrement difficile à avaler.

J’ai peut-être même eu plus d’admiration et de respect pour cette joueuse – Amélie Mauresmo – depuis que j’ai compris que le surnom était censé me rabaisser.

‘Fin bref.
My life as a military’s daughter taught me quite a few lessons on difference, but this one has been particularly difficult to swallow.

If anything else I have been admiring and respecting this tenniswoman – Amelie Mauresmo – even more from the moment I understood the nickname was supposed to diminish me.

Whatever.



A 16 ans, à me servir du tennis comme d’un défouloir, à frapper la balle comme une brute, est arrivée ce qu’il devait arriver, je me suis blessée. Epaule immobilisée pour plusieurs mois, douleurs au moindre geste répétitif pour séquelles, docs incapables de trouver ou de comprendre ce que j’avais, un défouloir qui m’était arraché sans espoir de retour à la normal – des rêves et des espoirs fous brisés.

Je ne suis pas sûre que mon entourage ait réellement compris à quel point cela m’avait atteint à l’époque.

A cet âge-là, on ne relativise pas, on prend tout à cœur. J’ai arraché les posters de tennis de mes murs ; ajouté à d’autres évènements douleurs de l’époque, c’était la goutte de trop.

Après une année, j’ai arrêté de suivre le tennis ; si on abordait le sujet j’en changeais ou je sortais. Pourquoi remuer le couteau dans la plaie ?

Amère, ça oui je l’étais. Mais en même temps, sans cet accident je n’aurai pas cherché à me défouler autrement que sur un terrain de tennis, je ne me serais sûrement pas intéressée plus que ça à la langue française, et il y a fort à parier que je ne me serais pas mise à rêver de voir mon nom sur les étagères d’une bibliothèque.

At age 16, by dint of using tennis as an outlet, by dint of hitting the ball with brute strength, what should have happened happened, I got hurt. Few months of a shoulder immobilized, pain at each and every single repetitive gesture as after-effect, docs unable to find or to understand what I had, an outlet wrung out of me with no hope of return to normal – crazy dreams and hopes shattered.

I’m not sure my relatives really understood how deeply it got to me at the time.

At such an age, there’s no keeping things in perspective. I ripped the tennis posters of my walls; in addition to some others painful events of the moment, that was the last straw.

After a year, I stopped watching tennis; if the subject was brought up I would switch for another or leave. Why rubbing it in?

Bitter, you bet I was. But at the same time, without this accident I wouldn’t have looked for another outlet outside of a tennis court, I most likely wouldn’t have been really interested in the French language, and odds are I wouldn’t have dreamed about seeing my name on the shelves of a book-case.

Cette année, c’est la première fois en un peu plus de dix que je regarde Roland Garros. Premier tournois de tennis que je suis. Aucun pincement au cœur – l’épisode est encaissé et accepté – juste un brin de nostalgie et de l’émerveillement devant les coups réalisés par certains joueurs du circuit.

Je ne pourrais plus frapper dans la balle comme je le faisais avant, je ne suis pas sûre que je me risquerai à faire un service autre qu’un service à la cuillère ou que je pourrais jouer plus d’une heure sans réveiller cette vieille douleur dans l’épaule.

Mais ça serait chouette de pouvoir titiller la petite balle jaune de nouveau…

This year is the first time I watch Roland Garros in a little over ten years. First tennis tournament that I watch. No lump in my throat – the episode is stomached and accepted – just a little bit of nostalgia and wonder at the shots realized by some of the pro players.

I couldn’t hit the ball like I used to anymore, I am not sure that I would risk myself to serve any other way than underarm or that I could play for more than an hour without reviving this old shoulder pain.

But titillating the little yellow ball again, that would be nice…